Difficile de trouver mieux que les
finances pour engager la mutualisation intercommunale des services,
en direction de l'ensemble des collectivités. Les finances sont un
service fonctionnel, il est logique qu'elles soient dans le peloton de
tête de la mutualisation. Elles sont souvent moins mises en avant
que les ressources humaines ou la direction générale, sans doute à
tort car elles sont porteuses d'une forte légitimité de l'action
publique locale, propres à impacter les mutualisations
communautaires dans leur ensemble. Il suffit d'approfondir ce cas des
services comptables pour mesurer l'impact d'une culture collaborative
avec le potentiel qu'elle recèle : c'est sans rapport avec la
thématique des économies d'échelle, et contradictoire avec la
centralisation des pouvoirs.
Il faut dire que si la direction des
finances de la communauté et celle de la ville centre se confondent,
l'exposition de cette mutualisation est assez délicate, elle nourrit
spontanément le sentiment d'une collusion d'intérêt au profit du
centre, et au détriment de la périphérie. Justifié ou non, ce
sentiment devrait pousser à une mutualisation plus horizontale.
Toute mutualisation qui entretient la confusion entre la
concentration des moyens et la centralisation des pouvoirs ruine le
concept même de la mutualisation dont le ressort est de miser sur le
réseau, au contraire de la réduction numérique et bureaucratique
des décideurs.
Le management financier a un beau
potentiel
Dans le domaine des finances comme
ailleurs, on peut envisager de regrouper des personnels, d'affiner
les compétences et aborder toute une panoplie de solutions
juridiques qui vont de la simple convention de services jusqu'à la
société publique locale. L'essentiel est d'apprécier le
fonctionnement intime de l'organisation et de jauger ce qu'elle peut
modifier dans la matière, dans le contenu même du service, dans
l'amélioration concrète du quotidien des finances de nos
collectivités. Si l'on creuse au-delà de considérations trop
superficielles, on percevra tôt ou tard l'impact totalement
différent sur l'administration locale de la mutualisation par
rapport au transfert de compétences.
La première difficulté pour lancer un
service mutualisé des finances à l'échelle communautaire, c'est
l'hétérogénéité des procédures. Il y a souvent des logiciels
différents, des règles comptables appliquées à des niveaux de
rigueur différents, des méthodes internes différentes et des
limites disparates de l'intervention du service financier suivant la
collectivité. Profondément ancré dans l'organisation municipale,
le service comptable (ou le service financier) a un périmètre aussi
variable et incertain que sa légitimité est uniformément solide et
immémoriale.
Commençons par les logiciels de
gestion. Avec l'apparition de l'informatique en clouding, il n'y a
plus de raison de rester chacun avec son serveur, voire avec son
logiciel monoposte. Voilà une simplification importante :
l'ensemble des personnels peuvent travailler avec le même outil
informatique sur tout le territoire communautaire. Cela exige un
effort de formation, mais l'indépendance est à portée de main et
il devient moins incertain, notamment dans les petites collectivités,
de trouver du personnel qualifié, immédiatement opérationnel, à
proximité.
Le niveau d'application comptable pose
déjà des difficultés un peu plus complexes. Il y a des règles
d'application comptable un peu différentes suivant les strates
démographiques, le seuil de 3500 habitants détermine des
obligations comptables d'amortissement, d'ajustement à l'exercice et
de codification fonctionnelle, pour ne citer que les plus marquantes. L'essentiel, c'est que le niveau technique de gestion,
malgré l'uniformité réglementaire, assez mal respectée dans les
collectivités, est assez aléatoire dans les communes. Plusieurs
points sont susceptibles de les distinguer :
- la pratique de l'engagement des dépenses (pourtant une obligation de l'instruction M14 depuis 1997)
- l'ajustement à l'exercice. Pour partie lié au point précédent. L'examen attentif des comptes conduit souvent à relativiser la qualité des documents comptables et les comparaisons officielles publiées avec une analyse critique plutôt faible ;
- la gestion de la dette et de la trésorerie., elles aussi d'une qualité technique aléatoire et on a vu ces dernières que certaines collectivités pouvaient utiliser des instruments financiers qu'elles ne maîtrisaient pas ;
- l'arbitrage sur l'assujettissement à la TVA est pratiquement absente de la gestion des petites collectivités.
Au-delà de ces considérations
techniques qui relèvent du savoir-faire interne des services
comptables et financiers, le management des finances ne saurait se
limiter au service comptable de la collectivité, même si elle est
petite. Qui prépare le budget ? Qui en contrôle l'exécution
et comment ? La dématérialisation PESV2, actuellement en cours
de mise en œuvre dans les collectivités, est une remarquable
occasion de se saisir de ces différences entre les collectivités. Il n'y
a pas de bonne gestion possible des finances publiques locales sans
un partage bien structuré des responsabilités qui descende au plus
près des professionnels sur le terrain, quels que soient leurs
métiers.
Derrière la dématérialisation des
titres et des mandats dont on parle, il y a la question stratégique
du workflow. Techniquement, le workflow définit un flux informatique
montant de l'exécution budgétaire qui correspond au droit de passer
une commande, dans un cadre de responsabilité, avec une limite
déterminée, et à un pouvoir de validation de l'engagement
financier. Ensuite, dans un flux informatique descendant du service
financier vers le service opérationnel, la facture est validée par
l'agent qui a effectué la commande. Il lui revient de savoir si le
produit a été livré, ou le service rendu, conformément à la
commande, pour autoriser le service financier à mandater le
paiement. Dans cette exécution du budget, tout est défini et tracé
par le workflow : on sait qui a le droit de faire quoi. On sait
que l'agent X a commandé telle fourniture pour tel montant, dans le
cadre de telle codification fonctionnelle (ou de telle autre
codification interne), à telle date, que cela a été validé par le
responsable Y, puis la facture a été transmise tel jour par le
service financier à X qui a validé à telle date ladite facture,
mandatée par le service financier à telle autre date.
Le workflow peut se mettre en place
facilement quand on a défini les centres de responsabilité et les
délégations. La dématérialisation permet d'agir vite, de manière
précise et proportionnée aux responsabilités, avec un historique
de l'exécution. Évidement, si toute commande préparée par un
l'agent doit recueillir la signature du chef de service, du directeur
financier et d'un élu, il ne faut pas espérer une administration
efficace. Rappelons que c'est le plombier qui connaît le modèle de
tuyau utile, que c'est l'agent de maîtrise qui prépare les
fournitures nécessaires pour le travail qu'il a programmé pour les
agents de son équipe de travail et qu'il peut soit commander
lui-même, soit passer par un service achat gestionnaire d'un magasin
qui stocke et déstocke en communiquant le coût de déstockage au
service financier. Rappelons surtout que, en réalité, ce circuit de
responsabilité et de décision fonctionne rarement avec la
lisibilité décrite ici dans nos collectivités. Les grandes
collectivités ne sont pas systématiquement meilleures que les
petites dans ce management financier. Pourtant, il est évident qu'il
y a là une source d'amélioration de gestion bien supérieure à ce
que les économies d'échelle peuvent espérer apporter.
Imposer une méthode unique, stable
et fiable
Un service mutualisé peut être plus
efficace que des services dispersés, à condition qu'il apporte une
méthode fiable et maîtrisé qui permette de rendre compte. Il y a
un travail d'agencement qui nécessite d'organiser les moyens,
souvent de les concentrer. Mais cela n'a rien à voir avec une
concentration des pouvoirs, au contraire, il y a lieu de partager et
de déléguer. Le vrai travail de modernisation de l'administration
territoriale est plutôt là, et il s'agit plus d'une transformation
organisationnelle que les transferts de compétence n'ont pas été
capables d'enclencher.
En précisant la nature des
responsabilités, on voit sans doute plus clairement le problème de
la disparité des limites du périmètre d'action des services
comptables et financiers des différentes collectivités au sein
d'une intercommunalité. Il est totalement irréaliste d'envisager
qu'un service financier suive des méthodes différentes suivant les
collectivités pour lesquelles il intervient. C'est un centre de
moyens, par définition il doit rendre le même service à tout le
monde, même si on peut admettre des options avec des coûts
différents. La cohérence tient à la maîtrise de la méthode, on
peut associer un service d'achat ou non, un service de contrôle de
gestion ou non, il faut que le cadrage traduise par le workflow une
exécution financière cohérente et stable.
La mise en œuvre de l'engagement
financier est contrainte par une écriture informatique, il s'agit
d'un acte technique et professionnel. Les exigences de disponibilité
et de compétence technique excluent l'élu du circuit de l'exécution
comptable. La clarification des procédures doit nécessairement
comporter un volet déterminant des règles internes définissant la
liaison entre les décideurs élus et les services. Le changement de
dimension permis par la mutualisation ouvre de nombreuses
possibilités, mais il impose des règles, des méthodes plus
précises, et des évaluations plus construites pour garantir à tous
le bénéfice d'une coopération et surtout pour fuir le spectre de
la bureaucratie contraignante et destructrice d'autonomie de gestion
de ceux qui mettent en œuvre le service public.
On n'a jamais demandé à un
gestionnaire d'assumer la responsabilité sur le sens de l'action
publique de la collectivité. Les élus ne sont pas sensés se
légitimer auprès des électeurs en affichant un MBA en guise de
profession de foi, alors pourquoi veulent-ils si souvent s'afficher
en gestionnaire ? Nous avons à alerter sur la médiocrité du
management financier sur nos territoires, sur le manque de
professionnalisme qui affecte particulièrement les périphéries, et
sur la nécessité de clarifier les modalités d'intervention des
élus autant que des agents. Il faut sortir des visions top/down du
20ème siècle, accepter de mettre sur la table des débats la
matière des finances, regarder comment nous pouvons exécuter au
mieux de l'intérêt public les décisions des assemblées élues,
responsabiliser de manière cohérente nos équipes, et enfin
s'interroger honnêtement sur la légitimité patronale des
exécutifs. La légitimité professionnelle ne saurait suffire à
l'action publique locale, nous avons besoin d'élus locaux qui
donnent du sens aux investissements publics, à la nature des
services financés pour le public et au consentement à l'impôt.
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