mardi 19 novembre 2013

Les solides atouts de la mutualisation des services comptables et financiers

Difficile de trouver mieux que les finances pour engager la mutualisation intercommunale des services, en direction de l'ensemble des collectivités. Les finances sont un service fonctionnel, il est logique qu'elles soient dans le peloton de tête de la mutualisation. Elles sont souvent moins mises en avant que les ressources humaines ou la direction générale, sans doute à tort car elles sont porteuses d'une forte légitimité de l'action publique locale, propres à impacter les mutualisations communautaires dans leur ensemble. Il suffit d'approfondir ce cas des services comptables pour mesurer l'impact d'une culture collaborative avec le potentiel qu'elle recèle : c'est sans rapport avec la thématique des économies d'échelle, et contradictoire avec la centralisation des pouvoirs.

Il faut dire que si la direction des finances de la communauté et celle de la ville centre se confondent, l'exposition de cette mutualisation est assez délicate, elle nourrit spontanément le sentiment d'une collusion d'intérêt au profit du centre, et au détriment de la périphérie. Justifié ou non, ce sentiment devrait pousser à une mutualisation plus horizontale. Toute mutualisation qui entretient la confusion entre la concentration des moyens et la centralisation des pouvoirs ruine le concept même de la mutualisation dont le ressort est de miser sur le réseau, au contraire de la réduction numérique et bureaucratique des décideurs.

Le management financier a un beau potentiel

Dans le domaine des finances comme ailleurs, on peut envisager de regrouper des personnels, d'affiner les compétences et aborder toute une panoplie de solutions juridiques qui vont de la simple convention de services jusqu'à la société publique locale. L'essentiel est d'apprécier le fonctionnement intime de l'organisation et de jauger ce qu'elle peut modifier dans la matière, dans le contenu même du service, dans l'amélioration concrète du quotidien des finances de nos collectivités. Si l'on creuse au-delà de considérations trop superficielles, on percevra tôt ou tard l'impact totalement différent sur l'administration locale de la mutualisation par rapport au transfert de compétences.

La première difficulté pour lancer un service mutualisé des finances à l'échelle communautaire, c'est l'hétérogénéité des procédures. Il y a souvent des logiciels différents, des règles comptables appliquées à des niveaux de rigueur différents, des méthodes internes différentes et des limites disparates de l'intervention du service financier suivant la collectivité. Profondément ancré dans l'organisation municipale, le service comptable (ou le service financier) a un périmètre aussi variable et incertain que sa légitimité est uniformément solide et immémoriale.

Commençons par les logiciels de gestion. Avec l'apparition de l'informatique en clouding, il n'y a plus de raison de rester chacun avec son serveur, voire avec son logiciel monoposte. Voilà une simplification importante : l'ensemble des personnels peuvent travailler avec le même outil informatique sur tout le territoire communautaire. Cela exige un effort de formation, mais l'indépendance est à portée de main et il devient moins incertain, notamment dans les petites collectivités, de trouver du personnel qualifié, immédiatement opérationnel, à proximité.

Le niveau d'application comptable pose déjà des difficultés un peu plus complexes. Il y a des règles d'application comptable un peu différentes suivant les strates démographiques, le seuil de 3500 habitants détermine des obligations comptables d'amortissement, d'ajustement à l'exercice et de codification fonctionnelle, pour ne citer que les plus marquantes. L'essentiel, c'est que le niveau technique de gestion, malgré l'uniformité réglementaire, assez mal respectée dans les collectivités, est assez aléatoire dans les communes. Plusieurs points sont susceptibles de les distinguer :
  • la pratique de l'engagement des dépenses (pourtant une obligation de l'instruction M14 depuis 1997)
  • l'ajustement à l'exercice. Pour partie lié au point précédent. L'examen attentif des comptes conduit souvent à relativiser la qualité des documents comptables et les comparaisons officielles publiées avec une analyse critique plutôt faible ;
  • la gestion de la dette et de la trésorerie., elles aussi d'une qualité technique aléatoire et on a vu ces dernières que certaines collectivités pouvaient utiliser des instruments financiers qu'elles ne maîtrisaient pas ;
  • l'arbitrage sur l'assujettissement à la TVA est pratiquement absente de la gestion des petites collectivités.

Au-delà de ces considérations techniques qui relèvent du savoir-faire interne des services comptables et financiers, le management des finances ne saurait se limiter au service comptable de la collectivité, même si elle est petite. Qui prépare le budget ? Qui en contrôle l'exécution et comment ? La dématérialisation PESV2, actuellement en cours de mise en œuvre dans les collectivités, est une remarquable occasion de se saisir de ces différences entre les collectivités. Il n'y a pas de bonne gestion possible des finances publiques locales sans un partage bien structuré des responsabilités qui descende au plus près des professionnels sur le terrain, quels que soient leurs métiers.

Derrière la dématérialisation des titres et des mandats dont on parle, il y a la question stratégique du workflow. Techniquement, le workflow définit un flux informatique montant de l'exécution budgétaire qui correspond au droit de passer une commande, dans un cadre de responsabilité, avec une limite déterminée, et à un pouvoir de validation de l'engagement financier. Ensuite, dans un flux informatique descendant du service financier vers le service opérationnel, la facture est validée par l'agent qui a effectué la commande. Il lui revient de savoir si le produit a été livré, ou le service rendu, conformément à la commande, pour autoriser le service financier à mandater le paiement. Dans cette exécution du budget, tout est défini et tracé par le workflow : on sait qui a le droit de faire quoi. On sait que l'agent X a commandé telle fourniture pour tel montant, dans le cadre de telle codification fonctionnelle (ou de telle autre codification interne), à telle date, que cela a été validé par le responsable Y, puis la facture a été transmise tel jour par le service financier à X qui a validé à telle date ladite facture, mandatée par le service financier à telle autre date.

Le workflow peut se mettre en place facilement quand on a défini les centres de responsabilité et les délégations. La dématérialisation permet d'agir vite, de manière précise et proportionnée aux responsabilités, avec un historique de l'exécution. Évidement, si toute commande préparée par un l'agent doit recueillir la signature du chef de service, du directeur financier et d'un élu, il ne faut pas espérer une administration efficace. Rappelons que c'est le plombier qui connaît le modèle de tuyau utile, que c'est l'agent de maîtrise qui prépare les fournitures nécessaires pour le travail qu'il a programmé pour les agents de son équipe de travail et qu'il peut soit commander lui-même, soit passer par un service achat gestionnaire d'un magasin qui stocke et déstocke en communiquant le coût de déstockage au service financier. Rappelons surtout que, en réalité, ce circuit de responsabilité et de décision fonctionne rarement avec la lisibilité décrite ici dans nos collectivités. Les grandes collectivités ne sont pas systématiquement meilleures que les petites dans ce management financier. Pourtant, il est évident qu'il y a là une source d'amélioration de gestion bien supérieure à ce que les économies d'échelle peuvent espérer apporter.

Imposer une méthode unique, stable et fiable

Un service mutualisé peut être plus efficace que des services dispersés, à condition qu'il apporte une méthode fiable et maîtrisé qui permette de rendre compte. Il y a un travail d'agencement qui nécessite d'organiser les moyens, souvent de les concentrer. Mais cela n'a rien à voir avec une concentration des pouvoirs, au contraire, il y a lieu de partager et de déléguer. Le vrai travail de modernisation de l'administration territoriale est plutôt là, et il s'agit plus d'une transformation organisationnelle que les transferts de compétence n'ont pas été capables d'enclencher.

En précisant la nature des responsabilités, on voit sans doute plus clairement le problème de la disparité des limites du périmètre d'action des services comptables et financiers des différentes collectivités au sein d'une intercommunalité. Il est totalement irréaliste d'envisager qu'un service financier suive des méthodes différentes suivant les collectivités pour lesquelles il intervient. C'est un centre de moyens, par définition il doit rendre le même service à tout le monde, même si on peut admettre des options avec des coûts différents. La cohérence tient à la maîtrise de la méthode, on peut associer un service d'achat ou non, un service de contrôle de gestion ou non, il faut que le cadrage traduise par le workflow une exécution financière cohérente et stable.

La mise en œuvre de l'engagement financier est contrainte par une écriture informatique, il s'agit d'un acte technique et professionnel. Les exigences de disponibilité et de compétence technique excluent l'élu du circuit de l'exécution comptable. La clarification des procédures doit nécessairement comporter un volet déterminant des règles internes définissant la liaison entre les décideurs élus et les services. Le changement de dimension permis par la mutualisation ouvre de nombreuses possibilités, mais il impose des règles, des méthodes plus précises, et des évaluations plus construites pour garantir à tous le bénéfice d'une coopération et surtout pour fuir le spectre de la bureaucratie contraignante et destructrice d'autonomie de gestion de ceux qui mettent en œuvre le service public.

On n'a jamais demandé à un gestionnaire d'assumer la responsabilité sur le sens de l'action publique de la collectivité. Les élus ne sont pas sensés se légitimer auprès des électeurs en affichant un MBA en guise de profession de foi, alors pourquoi veulent-ils si souvent s'afficher en gestionnaire ? Nous avons à alerter sur la médiocrité du management financier sur nos territoires, sur le manque de professionnalisme qui affecte particulièrement les périphéries, et sur la nécessité de clarifier les modalités d'intervention des élus autant que des agents. Il faut sortir des visions top/down du 20ème siècle, accepter de mettre sur la table des débats la matière des finances, regarder comment nous pouvons exécuter au mieux de l'intérêt public les décisions des assemblées élues, responsabiliser de manière cohérente nos équipes, et enfin s'interroger honnêtement sur la légitimité patronale des exécutifs. La légitimité professionnelle ne saurait suffire à l'action publique locale, nous avons besoin d'élus locaux qui donnent du sens aux investissements publics, à la nature des services financés pour le public et au consentement à l'impôt.


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