Derrière
l'offensive contre le statut et contre le Code du travail, il
y en a une autre contre le statut des fonctionnaires. Voilà ce que
nous dit Nicolas Braemer dans son article
en date du 21 septembre 2015.
Cet
article intervient aussitôt après la manifestation
des maires du 19 septembre contre la baisse des dotations.
Faut-il
rechercher la protection et dénoncer la régression sociale comme
celle des dotations?
Ma
réponse paraîtra
assez décalée par rapport à ce que les acteurs en disent, elle est
dans la recherche de puissance réelle quand la crise s'annonce
profonde.
Les
gestionnaires publics locaux sont aujourd'hui sous l'emprise
d'injonctions contradictoires. Ils doivent faire des économies, mais
la masse salariale est la dépense principale, elle représente
souvent plus de la moitié des charges de fonctionnement, et c'est
une dépense qu'il est très difficile de limiter, et même
d'empêcher de croître. Quand on réduit les effectifs, non
seulement on fait des économies budgétaires mais on modernise des
services qui fonctionnent bien souvent nettement mieux après la
réduction qu'avant. J'ai tout de même visité quelques services
publics pour dire cela et je doute que les gestionnaires me
contredisent. La question est de savoir si les effectifs de nos
administrations locales sont là pour défendre l'emploi ou pour
défendre le budget.
A
un certain moment, il va falloir que le Président de l'AMF, par
ailleurs ancien ministre du budget, nous dise si son association
défend le budget des collectivités locales ou les effectifs des
collectivités locales. Et, bien entendu, la même invitation vaut
pour le Premier Ministre. Gouverner c'est choisir comme disait P
Mendès-France. La contradiction de gestion entre la sauvegarde de
l'emploi public local et la réduction budgétaire est massive, il
est temps de cesser les diversions et de mettre le plat de résistance
sur la table. Pour l'instant, on s'agace et il me semble que les
agents territoriaux comme les citoyens ont le droit de savoir ce dont
la parole publique ne dit rien.
Emploi
territorial et équilibre budgétaire : la contradiction est
certaine
La
question suivante est de savoir ce que l'on veut faire de la
décentralisation. Pourquoi les maires s'adressent-ils à l'État et
non pas à leurs concitoyens ? Après tout, les élus locaux
sont les représentants des souverains. Mais qui est souverain ?
L'État, Bercy, ou les citoyens ?
Bon,
je vais poser la question autrement. Faut-il participer au sauvetage
de l'emploi avec nos budgets locaux et croire à la sortie du tunnel
de la crise nous ramenant vers le plein emploi ? Ou faut-il
repenser nos politiques locales en considérant qu'il faut trouver
des solutions pour améliorer la vie de nos concitoyens dans nos
communes dans un contexte de réduction des revenus salariaux ?
Ce
n'est pas aux agents territoriaux de décider, mais le sujet est
tellement important qu'il n'appartient sans doute pas aux élus
locaux non plus de décider avant d'avoir s'ils sont en phase avec
les citoyens qu'ils représentent. Excusez cette évidence, je
suppose que nous sommes tous démocrates.
Après
avoir essayé d'éclairer la question et ces enjeux, je viens
proposer ma réflexion comme une contribution pour déterminer une
réponse. Mon idée dominante, je vais la pêcher chez un philosophe,
Bernard Stiegler : il est temps de cesser de confondre le
travail, un acte créatif avec des mains et des cerveaux, avec
l’emploi salarié, une condition sociale de dépendance et de
soumission au propriétaire des moyens de production. Au lieu
d’ouvrir de nouveaux modèles sociaux où la contribution à la
production sociale devrait échapper plus facilement qu'ailleurs au
schéma de l’appropriation privée, les collectivités locales sont
l’endroit où l’on défend le plus l’emploi salarié.
Les
collectivités ne diminuent pas le nombre d'emplois comme l'État le
fait, elles continuent à en créer d'après les derniers chiffres
dont on dispose. Les plans de réduction de l'emploi tels que celui
de Strasbourg Eurométropole font encore figure d'exception.
L'accès
à la critique par les citoyens manque
Les
uns défendent les acquis appelés dotations auprès de
« l’exécutif (national) qui ne rend plus
de comptes à personne »( formule de Pierre Rosanvallon la
semaine dernière sur Médiapart), les autres défendent l’emploi
pour sauvegarder les revenus salariaux et par là-même le salariat.
Je n'arrive pas à croire qu'on puisse sortir de nos malheurs
croissants dans un système de domination et de protection verticale
de plus en plus contre-productif. On ne peut pas admettre la
soumission quand on désire la liberté et la démocratie. Je ne peux
pas porter dans mon cœur le modèle patronal top/down autoritaire
dans les entreprises, voilà pourquoi je regrette que les
administrations publiques (prétendument dirigées par des
représentants du peuple) soient la caricature de cette
anti-démocratie d’une part et que les élus locaux puissent se
laisser « empêcher » par des institutions qui ont
encore moins de relation démocratique avec la population
qu’eux-mêmes.
Les
médias font quotidiennement leur miel des contradictions, des
dérapages, parfois des excès répréhensibles des élus, mais ils
diffusent le lobbying des maires sans la moindre critique. Un jour on
dénonce les palais régionaux ou les projets pharaoniques des
« roitelets » de province, ces élus locaux parvenus aux
allures ridicules de bourgeois gentilshommes, et le lendemain on
s’apitoie sur la misère de ces pauvres maires si braves et si
démunis...
Je
déteste que l’on méprise les élus locaux, mais cependant il est
certainement nécessaire qu’il y ait un exercice critique de leur
action. Aujourd’hui, ce qui manque le plus, c’est l’accès à
la critique par les citoyens - dit autrement, le contrôle
démocratique manque, compris sur la question des emplois dans les
collectivités. Ce manque échappe en partie à la responsabilité
des élus locaux : le code général des collectivités
territoriales énonce des règles souvent inadaptées, les tuyaux
financiers entre les différents niveaux d’administration sont
d’une complexité phénoménale, la fiscalité locale est
incompréhensible pour le contribuable et régie par l’État,
etc... Cependant les élus locaux ne sont pas indemnes de toute
critique.
Les
élus locaux n’aiment pas la critique. C’est humain. Ils ont un
peu tendance à confondre critique de leur politique et critique de
leur personne, et à se comporter en propriétaire perdant trop
souvent de vue qu’ils ne sont pas les propriétaires mais seulement
les représentants temporaires des propriétaires, c’est-à-dire de
vous et moi, citoyens et citoyennes. L'élection ne suffit pas à la
démocratie, les élus sont protégés du contrôle des citoyens par
un système opaque, mais c’est aussi leur plus profonde faiblesse.
Pourquoi les maires ne s’appuient-ils pas sur la population quand
ils veulent protester contre l’État ou toute autre puissance quand
celles-ci portent atteinte aux intérêts de la commune qu’ils
représentent ?
Le
bonheur en démocratie
Qu’est-ce
qui doit être bénévole, quel travail doit-on automatiser, quelles
contributions doit-on rémunérer par la monnaie ? Voilà de la
matière pour le débat public local ! Ce débat-là n'aura pas
lieu avec Emmanuel Macron ni avec aucun autre ministre. Pourquoi les
maires ne s’appuient-ils pas sur la population quand ils veulent
faire vivre leur commune, quand ils veulent protester contre l’État
ou toute autre puissance quand celles-ci portent atteinte aux
intérêts de la commune qu’ils représentent ? Vont-ils
rester longtemps exclusivement tournés vers l'État pour soutenir
leurs politiques locales ? Sur le plan financier si exposé
devant de la scène, il convient de se rappeler que les collectivités
n'ont pratiquement aucun contrôle du circuit de leurs recettes, en
dehors de quelques recettes d'exploitation (généralement moins de
10 % du budget). Il est invraisemblable d'avoir le meilleur lien
avec le contribuable et de laisser ce contrôle financier à l'État.
Sur
la question de l'emploi local, il faut surtout échapper aux dangers
du clientélisme et ensuite la question sociale du recul de l'emploi
dépasse grandement l'administration locale. Il y a des moyens de
créer la rencontre avec les élus locaux, il faut fermer le robinet
de la communication publicitaire des collectivités et trouver les
moyens du débat public avec des jurys citoyens, avec de la
concertation réelle et de la démocratie ouverte(*). Les élus
comptent trop sur eux-mêmes, ils n'ont pas à inventer les
solutions, ni à porter le poids de terribles suppressions d'emploi,
ni à se prendre pour les propriétaires de la démocratie et uniques
responsables de l'équilibre budgétaire. Le bonheur en démocratie,
c'est de partager avec la population, c'est la souveraineté
collective.
Quelque
soit la nature de l'enjeu politique, la première force des élus
locaux démocrates, c'est la population de la localité.
(*)
Certains spécialistes peuvent vous aider,
http://www.territoires-hautement-citoyens.fr/
notamment, et d'autres : http://ouishare.net/fr/
, http://www.respublica-conseil.fr/