vendredi 16 septembre 2016

Le problème de gouvernance de notre système scolaire

Nos écoles souffrent surtout d'un problème de gouvernance, mais il semble invisible et passe en permanence sous les radars de l'information et du débat politique. Un petit voyage entre deux communes rurales peut parfaitement nous ouvrir les yeux : dans la première, en Bretagne, on va voir comment le problème central est parfaitement pointé, avec un peu d'humour caustique, et dans la seconde, direction Lot et Garonne, on va voir comment on peut le résoudre.


Tout le monde a entendu parler du classement PISA et sait que la France recule dans ce comparatif international depuis longtemps. Le problème majeur n'est sans doute pas dans le savoir-faire pédagogique, il est probablement dans la gouvernance de notre système scolaire. Mais cela ne semble pas évident à tout le monde, personne ne semble comprendre vraiment le sujet ou alors de manière très partielle. Pourtant les habitants de Plounérin, commune de 735 habitants à l'ouest des Côtes-d'Armor, ont posté une annonce sur le Bon Coin (!) qui illustre remarquablement le problème, ils ont posé le doigt au cœur du sujet.

Un débat idéologique imperméable au réel

Les Républicains posent en partie la question de la gouvernance en proposant tous de renforcer l'autonomie des établissements scolaires et le rôle du chef d'établissement. Cela donne lieu à un florilège de déclarations dans la veine traditionnelle de la droite bonapartiste, boulangiste et gaulliste que Claude Lelièvre retrace dans un article récent du club de Médiapart pour dénoncer « le culte du chef ». Les lecteurs de Médiapart sont sans doute tous à gauche, ou presque, et manifestent à l'unanimité dans les commentaires leur hostilité à cette orientation qu'ils perçoivent comme autoritaire.
Pour autant, au-delà des intentions idéologiques, personne ne semble bien percevoir le problème pratique évident de cette proposition du renforcement du pouvoir du directeur d'école : peut-être, mais quel renforcement ? L'État peut donner plus de pouvoir sur le recrutement dans l'établissement et sur l'évaluation des enseignants, certes c'est possible, auquel cas on va démonter le rôle de l'inspection académique… Les professeurs ne seront peut-être pas contre, même s'il y a de quoi en douter quand on a entendu les arguments de Céline Alvarez, le jour de la rentrée scolaire sur France-Inter, qui a surtout imploré que l'on cesse « l'infantilisation » des enseignants. Et puis surtout, comment les députés Républicains pourront-ils vraiment donner de l'autonomie au directeur d'établissement quand les collectivités locales ont la main sur toute la logistique scolaire de l'établissement ?
Le problème majeur de la gouvernance des établissements scolaires, c'est qu'il y a deux patrons sous le même toit, le ministère de l'Éducation Nationale et une collectivité locale, et très peu de démocratie dans tout cela. C'est simple, massif, énorme ! Mais le débat idéologique est imperméable au réel.
Bien entendu, il y a une coopération sur le terrain, mais la tension gestionnaire monte depuis des décennies tant du côté de l'État que des collectivités locales et, donc, objectivement les motifs de frottement augmentent. En plus, objectivement, l'activité pédagogique est de plus en plus dépendante de la logistique scolaire, c'est particulièrement flagrant avec le développement du numérique financé par les collectivités locales. Cependant l'annonce du Bon Coin, publiée par on ne sait pas bien qui d'ailleurs de Plounérin, rappelle les bases du système : la commune construit les bâtiments et ensuite le rectorat ouvre une classe en finançant un poste d'enseignant… ou pas. La surdité idéologique est une chose, mais les collectivités locales, y compris les plus petites sont, elles, bien confrontées au réel.

La vassalisation est un piège pour les collectivités et pour l'État lui-même

Les plounérinais protestent sur la RN12
Concrètement, les élus de cette modeste commune bretonne de Plounérin ont cru pertinent d'investir, avec l'argent des contribuables de la commune, mais cela n'engageait pas le rectorat. La commune avait le choix des risques : l'insuffisance potentielle de locaux, ou le surinvestissement, ou tomber juste ! Les fonctionnaires de l'Éducation Nationale aiment beaucoup parler de partenariat quand ils rencontrent les maires, mais c'est souvent au-dessus de leurs moyens, la réalité pratique, c'est la vassalisation des collectivités dont nous ne sortons jamais. Elle a même été accentuée par l'obligation faite aux collectivités avec le service minimum d'accueil en cas de grève des enseignants, cette disposition qui n'a pas été remise en cause après l'alternance est symbolique d'une re-centralisation. La réforme des rythmes scolaires de Vincent Peillon s'est ensuite largement enlisée dans ce piège.
Les plounérinais qui ont posté cette annonce persiflent, mais il y a de quoi être agacé, ils vont supporter une charge très visible dans leur petit budget communal, et inutilement. Ils ont aussi des enfants à l'école, alors ils manifestent sur la RN12 à proximité, ils tambourinent comme ils peuvent puisque les décisions viennent d'en haut, en l'occurrence de l'inspection académique de Saint Brieuc. On est dans l'absurde, dans l'énorme perte d'énergie parce que la gouvernance dysfonctionne et qu'elle reste désespérément pyramidale. Pourtant à 775 kms de Plounérin (d'après google maps), un Maire d'une autre petite commune de 500 habitants a trouvé le moyen de ne pas se faire prendre dans le même piège, en anticipant pour assurer ses effectifs.
Faut-il renforcer le pouvoir du chef d'établissement ? Les députés n'y pourront pas grand-chose, et les prises de position hostiles non plus. Ce qui devrait compter, c'est l'avis de la communauté autour des enfants : les parents, les enseignants, les responsables des moyens. L'État gère une partie des moyens avec des règlements aveugles aussi bien du côté des charges (les rémunérations des enseignants) que des ressources (la fiscalité et pratiquement aucun impact du nombre de scolaires sur les dotations des collectivités) et veut tout commander : c'est incohérent !

L'État n'a plus les moyens d'être le maître de la pédagogie

Blanquefort sur Briolance, 500 habitants, dans le Lot-et-Garonne
Il faut développer de l'intelligence collective avec les parties prenantes, et faire tomber la frontière qui laisse tout pouvoir en matière pédagogique à l'État et à ses personnels enseignants. On ne peut pas motiver la communauté locale autour des enfants en limitant la concertation à la logistique scolaire, c'est impossible, le système centralisé actuel commence par parcelliser et réduire autant qu'il peut les pouvoirs des intervenants auprès des enfants, c'est insupportable ! Les familles veulent des pédagogies modernes, des Céline Alvarez qui expliquent ce qu'elles font, pourquoi et comment.
Sophie Gargowitsch, la Maire
qui mobilise toute la communauté
 Quand la maire de Blanquefort sur Briolance s'est inquiétée de maintenir les effectifs scolaires dans sa commune, comment s'y est-elle pris ? Sophie Gargowitsch, la Maire, a tout de suite cherché ce qui pouvait motiver les parents à scolariser les enfants sur son territoire, réponse : la pédagogie Montessori ! Elle a négocié, elle a mobilisé les parents, la commune voisine, un inspecteur d'académie qui connaissait plusieurs enseignants qui ne demandaient que cela, une petite opération de crowdfounding par là-dessus. Résultat : une classe Montessori a ouvert le 1er septembre 2016 dans une commune de 500 habitants du Lot-et-Garonne, financée comme n'importe quelle autre classe publique par l'Éducation Nationale.
En réalité, l'État n'est pas malveillant, il a des structures autoritaires un peu archaïques, il est souvent contraint de contenir les pressions contradictoires qu'il subit, mais surtout il est faible. Il n'a pas en mains les clés de la solution, ce n'est pas lui qui va d'en-haut animer l'intelligence collective dont on a besoin autour de chaque école. Bien entendu, dans les rangs de l'Éducation Nationale il y a des oreilles plus ou moins prêtes à coopérer, mais à un certain moment il faudra bien se tourner vers d'autres pratiques, inventer des collaborations nouvelles, engager la communauté sociale autour de l'école.
Aucun ministre ne pourra venir siffler le début du changement mental qui conduit à faire collectivement sans attendre qu'un chef le dise. Que des centaines de Plounérin se lèvent, que des milliers de Blanquefort sur Briolance s'organisent !



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